Le 1er mars, la Corée du Sud commémore Samil Undong, autrement dit le « Soulèvement du 1er mars ». Cette journée de 1919, que l’on nomme aussi Samiljeol, est d’autant plus importante qu’elle rappelle un évènement de grande importance : c’est en effet ce jour-là que, lassé des brimades et des humiliations de l’occupant japonais (le Japon a annexé la péninsule le 28 août 1910, essentiellement pour des raisons économiques), le peuple coréen a engagé un mouvement de protestation de grande ampleur.
Il y fut poussé par la situation nationale et internationale : en janvier 1919, le président américain Wilson, qui assistait à la Conférence de paix de Paris, proposait dans un discours idéaliste un programme en « quatorze points ». Il y faisait allusion au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Plusieurs étudiants coréens résidant à Tôkyô rédigèrent alors une première déclaration demandant la libération de la Corée. Cela allait d’ailleurs dans le sens des médias et les journaux, qui multipliaient les articles pour dénoncer l’injuste occupation japonaise.
Le 21 janvier, le roi coréen Gojong mourrait brutalement, et il y avait lieu de croire qu’il avait été empoisonné. Trente-trois activistes décidèrent alors de passer à l’action et se réunirent dans un restaurant de Séoul pour y lire une déclaration d’indépendance rédigée par l’un de leurs leaders, l’historien Choe Nam-seon. Ils furent bien entendus immédiatement arrêtés. Mais c’était sans compter sur la volonté du peuple coréen de retrouver sa liberté : une foule immense et pacifiste se rassembla dans le parc Tapgol. À midi, une sirène retentit, et un jeune étudiant du nom de Chung Jae-yong y déclama la déclaration d’indépendance. Elle fut lue ensuite un peu partout dans le pays. Et alors que les mouvements de foule devenaient de plus en plus importants, la répression policière et militaire se transforma en véritable massacre : plus de 7 000 morts, 15 000 blessés. Sans compter les milliers d’activistes jetés en prison, dont la plus célèbre reste celle de Seodaemun, à Séoul.
Un parc au centre de Séoul
Aujourd’hui le parc Tapgol, site historique n°354, est le point d’entrée de ces heures sombres de l’histoire politique et sociale de la Corée. C’est un parc relativement méconnu des touristes, mais qui peut s’avérer un lieu plaisant pour une pause au calme en plein centre de Séoul. En effet, il est situé dans le quartier de Jongno, à quelques encablures du quartier traditionnel et commerçant d’Insadong, et non loin du temple Jogyesa.
Lorsque je l’ai visité, j’ai remarqué la présence de nombreux harabeoji (grands-pères), dont la plupart semblaient un peu désœuvrés, voire dans le besoin. Cela m’a rappelé combien la Corée est encore un pays à double facette, où la pauvreté et la solitude des personnes âgées se heurte à la jeunesse un peu frivole et branchée de la capitale. La nature historique du parc m’a parue alors encore plus symbolique.
Un parc construit sur l’ancien site du temple Wongaksa
Le temple Wongaksa fut construit en 1465 par le roi Sejo, sur l’ancien site du temple Heungbok-sa, lui-même érigé par le royaume de Goryeo (918-1392). De ces deux temples aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose, d’autant que Wongaksa a fermé au tout début du 16e siècle, sur une décision du roi Yeonsangun, qui souhaitait limiter l’influence des bouddhistes. Il fut transformé en maison de gisaeng (le nom que l’on donne aux courtisanes coréennes) avant de devenir un édifice gouvernemental.
En 1897, John McLeavy Brown, un Irlandais en charge du Département des douanes sous le roi Gojong, proposa à ce dernier de rendre public le site de l’ancien temple Wongaksa, en le transformant en un parc urbain moderne, le premier de ce genre à Séoul. C’était aussi une manière de valoriser la superbe pagode en pierre de dix étages (Wongaksa jisipcheung seoktap), chef d’œuvre exceptionnel de l’art bouddhique, ainsi que les vestiges dudit temple.
La pagode de Wongaska
Avant de prendre le nom de Tapgol en 1991, le parc s’appellait Tapdong, du nom de la pagode. Ce trésor national n°2, construit en marbre et richement sculpté, mesure 12 mètres de haut ! Sa base à trois niveaux en forme de polygone est décorée avec des créatures telles que le dragon, le lion et le lotus ou encore des bouddhas. Le corps de la pagode comprend dix étages, et les sept derniers ont une forme carrée.
De nos jours, l’impressionnante pagode est recouverte d’un sarcophage en verre, et il est un peu difficile de l’apprécier dans toute sa splendeur. Mais cela s’explique par le caractère précieux de ce trésor artistique, qui mérite d’être protégé. On peut en voir une semblable au musée national de Corée, car la pagode de Wongaksa a été érigée sur le modèle de celle en pierre du temple Gyeongcheonsa (qui se trouvait dans la province de Gyeonggi-do). Cette dernière trône majestueusement au centre du musée, et c’est vraiment spectaculaire.
La stèle Daewongaksabi
L’autre vestige du temple Wongaksa est la stèle fondatrice commémorant sa construction. De style traditionnel, le sommet de la colonne de marbre est décoré de deux dragons entrelacés richement sculptés, qui entourent son nom calligraphié dans le style de l’époque. La base en pierre ressemble à une tortue sur le dos de laquelle sont gravées des fleurs de lotus et des écailles de poisson. Cette stèle est le trésor national de Corée n°3.
Le pavillon Palgakjeong
C’est dans ce beau pavillon coloré de forme octogonale placé au centre du parc, que la déclaration d’indépendance fut lue par un jeune étudiant coréen. Aujourd’hui, c’est un espace où les gens viennent s’asseoir et converser, à l’abri du soleil ou des intempéries. Le pavillon a été construit en 1902 par Shim Ui-Seok, un architecte de premier plan ayant aussi étudié les manières occidentales. Il faut savoir qu’à l’origine du projet de parc, il n’y avait que quelques arbres de plantés et quelques bancs pour s’asseoir. Et ce n’est qu’avec des éléments comme le pavillon Palgakjeong que le jardin public a véritablement commencé à prendre forme.
Le monument commémoratif du Soulèvement du 1er mars
À l’entrée du parc se trouve le monument commémoratif du Soulèvement du 1er mars (Samil undong kinyeomtap). On peut y lire en anglais la déclaration d’indépendance et le nom des signataires.
La statue de Son Byeong-Hui (1861-1922) clôt le monument sur la gauche. Ce personnage illustre participa activement au mouvement pour l’indépendance, en organisant financièrement la résistance. Il œuvra également pour une opposition populaire et non-violente, mais fut fait prisonnier après la répression sanglante du 1er mars.
En continuant vers le fond du parc sur la droite, on peut revivre l’histoire du mouvement grâce aux plaques en bronze sculptées qui ornent le mur de clôture, et qui retracent de manière presque palpable les événements qui eurent lieu à cette époque. Elles exaltent parfaitement le fort sentiment national qui devait habiter dans le cœur des Coréens à cette époque.
En prévision du centenaire
La municipalité de Séoul a prévu la création d’un nouveau site commémoratif en vue du centenaire du soulèvement du 1er mars, en 2019 : il s’agira d’un musée-mémorial en l’honneur du gouvernement provisoire en exil à Shanghai. Ce musée se situera près de la prison de Seodaemun et de l’arche de l’indépendance Dongnimmun, et l’ensemble formera un quartier-patrimoine historique dédié à la Résistance. La station de métro Anguk, de par sa proximité avec le parc Tapgol et les maisons des résistants célèbres, Han Yong-Un et Yeo Wun-Hyeong, se transformera quant à elle en station thématique.
Pour vous y rendre
En coréen : 탑골공원 (Tapgol Gongwon)
Adresse : 99, Jong-ro, Jongno-gu, Séoul.
Accès : On y accède à pied en 10 minutes par les lignes 1, 3 et 5 via la station Jongno 3-ga (sortie n°1), ou par la ligne 1 via la station Jonggak (sortie n°3).
Horaires : Le parc est ouvert tous les jours de 6h à 20h.
Tarif : L’entrée est gratuite.