Une haute clôture à Pyongyang

Récemment, sur les réseaux sociaux, je vous parlais de ma dernière lecture en date : Une haute clôture à Pyongyang, de Sung Hye-rang. Ce livre qui m’a été envoyé par les éditions Hémisphères et Maisonneuve et Larose a été publié au mois de mars dernier. Il s’agit du récit autobiographique d’une réfugiée nord-coréenne.

J’avoue avoir parfois une certaine réticence à aborder le sujet de la Corée du Nord. Ce blog est totalement apolitique, et de toute les manières, je n’y connais pas grand-chose à l’histoire coréenne, pas suffisamment en tout cas pour me sentir légitime à en parler.

Mais cet ouvrage était l’occasion d’en savoir un peu plus, en entrant dans l’intimité d’une famille dont le récit s’étend tout au long du siècle dernier. Et au début du 20e siècle, vous le savez, la Corée ne formait qu’un seul et beau pays. J’étais donc très curieuse de me replonger dans ces moments qui ne sont plus, et vivre « de l’intérieur » tous les événements historiques (et tragiques) qui se sont produits dans la péninsule.

Qui est Sung Hye-rang, l’auteure de « Une haute clôture à Pyongyang » ?

Née au Sud en 1935, Sung Hye-rang (성혜랑 – Seong Hye-rang – en coréen), a vécu plus de vingt ans dans la demeure du dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, avant de faire défection à Genève en 1996. Son père était un propriétaire terrien qui, attiré par les idéaux communistes d’après-guerre et après un séjour dans les geôles de Séoul, avait fini par rejoindre le Nord. Sa mère, Kim Won-ju, était une journaliste acquise depuis longtemps aux idées de gauche. Mais malgré leur soutien au régime, ils n’ont pas eu une vie plus facile de l’autre côté de la frontière. Leur appartenance au milieu bourgeois les a très vite disqualifiés pour devenir les « leaders d’un monde socialiste » auquel ils croyaient pourtant très fort.

La vie de Sung Hye-rang a radicalement changé lorsque sa sœur cadette, Sung Hye-rim, est devenue la compagne de Kim Jong-il . Diplômée d’une école d’art, devenue « actrice modèle de Corée du Nord », celle-ci était pourtant déjà mariée quand elle rencontra le fils de Kim Il-sung, fondateur et premier dirigeant du pays. Mais Kim Jong-il, grand amateur de cinéma, était très amoureux de la belle actrice, et fit tout pour la conquérir. Toutefois, malgré la naissance d’un fils en 1971, ils durent vivre leur histoire dans le plus secret car jamais Kim Il-sung n’aurait approuvé leur union.

Plus tard, Sung Hye-rang, veuve et mère de deux enfants, a accepté de vivre auprès de sa sœur et de son beau-frère, afin de s’occuper de leur fils, Kim Jong-nam, et de lui donner une éducation. La « haute clôture » qu’évoque le titre est celle de la résidence officielle dans laquelle ils vivaient, presque reclus pour éviter que le « secret » ne soit rendu public.

Sans trop entrer dans les détails, car ce serait dévoiler l’intrigue de ces mémoires autobiographiques, on peut comprendre que la vie de Sung Hye-rang a été extraordinaire. « Fille de », « sœur de », elle a traversé les années sombres de l’histoire moderne coréenne, et a été au centre de la vie politique et des conflits qui ont marqué le pays à jamais. Son témoignage est forcément riche et pertinent.

Destins de femmes

Le livre ne comporte pas un récit, mais deux. La première partie reprend en effet le journal de Kim Won-Ju, la mère de l’auteure, qu’elle a voulu publié ici à titre posthume.

Ce premier récit est celui qui m’a le plus intéressé. Peut-être est-il aussi plus facile à lire que le suivant. Mais après tout, Kim Won-Ju était une journaliste, et elle savait aller droit au but, sans se disperser dans l’infini des détails. On le ressent d’autant plus qu’on se doute d’ailleurs qu’elle ne dit pas tout. Les ellipses sont fréquentes, et les questions fusent : comment une jeune fille aussi pauvre, fille d’un simple paysan toujours ivre et violent envers sa mère, a-t-elle réussi à se sortir de sa condition sociale ? À l’entendre, elle aurait simplement rencontré des personnes bienveillantes à plusieurs reprises dans sa vie, mais je doute qu’une fille « qui n’avait ni vêtements ni chaussures pour aller passer un examen » ait pu réussir une telle ascension sociale par la seule grâce de la bonté humaine.

Soit. Les omissions volontaires ne m’ont pas empêché de lire son journal avec beaucoup d’intérêt. On découvre une Corée empêtrée dans des traditions séculaires féodales et une société patriarcale qui nie la place des femmes. On avance aussi dans une Corée qui souffre sous le joug de l’impérialisme nippon : douleurs, humiliations, injustices, tel est le lot des colonisés. Pourtant, c’est au Japon que Kim Won-ju reçoit une éducation supérieure, qui va lui permettre d’obtenir un premier poste important dans une usine de filature. Plus tard, elle se lancera dans le journalisme, avant de rejoindre l’Union des femmes coréennes de gauche et de passer de l’autre côté de la ligne de démarcation.

Le deuxième récit est celui de l’auteure. Contrairement à sa mère, Sung Hye-rang se dévoile dans une narration plus détaillée. Les premières années passées dans la maison aux glycines de Wangshimni, le « bas-quartier » de Séoul. Les activités politiques de sa mère et l’emprisonnement de son père à la prison de Seodaemun. La guerre et ses ravages, l’installation en Corée du Nord. On y apprend forcément beaucoup sur la vie à Pyongyang, l’idéologie communiste, les contrôles et les injonctions, les purges dont la famille Sung finit par faire les frais… Et puis ces années dédiées à l’éducation du Kim Jong-nam, le fils de sa jeune sœur (il sera assassiné en 2017), une vie luxueuse mais sans vraie liberté, et pour finir, des espoirs à tout jamais brisés.

Tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’histoire mouvementée de la péninsule coréenne auront intérêt à se procurer cet ouvrage. Le récit, authentique et tragique, n’est pas qu’une simple description des arcanes du cercle dirigeant nord-coréen. Il est celui de toute une famille, profondément engagée dans l’avènement d’une société plus juste.

Le livre est paru en 2000 sous le titre original 등나무집 : 성혜랑 자서전 (deungnamujip : seonghyerang jaseojeon, La maison aux glycines : une autobiographie de Song Hye-rang).

Une haute clôture à Pyongyang : récit autobiographique
Sung Hye Rang
Hémisphères éditions, Maisonneuve et Larose, 2021
ISBN : 978-2-37701-068-4
384 pages
24 EUR

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